6 février 1919 [1]
Rien de particulier depuis le déjeuner où nous avons épuisé un peu la pochette aux petites informations. J’ai eu cependant la visite de Kramar [2] qui est venu vers 6h et qui m’a parlé de sa déclaration à la Conférence [3]. Je tombais de fatigue et mes yeux papillotaient. J’espère que le brave homme ne s’en est pas trop aperçu, mais quand on a lu tout un journal, entendu cinquante personnes et que la fin de la journée arrive, on comprend facilement que le Tchécoslovaque ne vous fasse pas l’effet d’un ravigotant.
Une chose d’avant-hier que je ne t’avais, je crois, pas dite et qui n’a du reste d’autre intérêt que le nom d’un homme très mêlé aux affaires de journaux et qui se met à la tête de la grande concurrence.
Bareilles dont je t’ai parlé plusieurs fois [4], qui est une sorte de bohème génial et qui a pondu deux excellents bouquins sur Constantinople et l’Orient [5] qu’il connaît à fond, veut à toute force me voir. Il vient et me raconte qu’il lui est venu à l’idée de fonder un journal en Syrie. À la recherche de capitaux, il a trouvé Alphand. Ce dernier lui dit qu’il a tous les capitaux nécessaires, cinq cent mille, un million, ce qu’il faudra, mais qu’il ne les fournira que moyennant deux conditions. – 1° – Au journal il sera adjoint un cinéma (déjà la combinaison du nouveau Temps porte un cinéma). – 2° – La moitié du capital devra être faite par des indigènes ou tout au moins des intérêts indigènes. C’est à ce titre que Bareilles venait me trouver, surtout pour Pierre de Vauréal. Je crains qu’Alphand ne soit un peu fumiste.
En rentrant, je trouve une lettre et un bleu de Pellé. Il m’invite à déjeuner pour demain. Partant pour Prague, il voudrait que je le mette en relations avec toutes les personnalités possibles. Je refuse le déjeuner et j’accepte les entremises.
À toi.
Et
[1] Nalèche n’évoque pas la Conférence de la Paix où l’émir Feyçal prend la parole.
[2] Karel Kramar (1860-1937). Tchèque. Nationaliste.
[3] A la Conférence de la Paix, les revendications polonaises et tchécoslovaques sont examinées le 29 janvier.
[4] Cf. lettres des 6 avril 1917, 9-10 décembre 1917 et 16 mai 1918.
[5] Bertrand Bareilles (1875-1933) est l’auteur de Les Turcs, ce que fut leur Empire ; leurs comédies politiques, Perrin et Cie, 1917, 313 p. et de Constantinople, ses cités franques et levantines (Péra, Galata, banlieue), Bossard, 1918, 406 p.
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Odile Gaultier Voituriez (6 février 2019). 6 février 1919. La 1ère Guerre vue de Paris. Consulté le 20 juillet 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/rqsz